7 questions à Jean-Pierre Réginal (entretien par Luc Melmont)
1-Comment vous vous situez par rapport au monde de la Chanson ?
Entre deux chaises…avec une jubilation pathologique, mais toujours inconfortable. Quelque part entre obscurité et lumière, entre coups de froid et coups de cœur, à la recherche d’un passage vers une zone libre. Le problème reste toujours de trouver des passeurs honnêtes et efficaces. Pour être plus clair, comment aller de l’artisanat « de qualité » à l’artistique médiatisé … Cela m’est arrivé plusieurs fois au cours de ma carrière, mais jamais de façon définitive, si bien qu’il faut sans cesse retrousser ses manches et repartir à la conquête de la face nord du glacier…voici donc la situation. Plus tu vois le sommet et mieux il s’éloigne… Mais sans rire, qu’est-ce qu’on se marre !
2- Existe t-il un
public Jean-Pierre Réginal ?
Oui, il existe…mais parfois, certains soirs dans les salles de
spectacle, c’est un peu comme Dieu le Père. On dit bien qu’il
existe, mais personne ne l’a vraiment vu… Plus sérieusement et
tous mes copains chanteurs le savent, au fil du temps on gagne des
inconditionnels, (comme vous, peut-être ?) qui fidélisent
notre parcours, qui fredonnent nos chansons, dont certains deviennent
même des amis… mais de vous à moi, pas de quoi (encore) remplir
le Zénith pendant trois semaines.
3- Est-ce vous qui produisez vos albums, concerts ?
Oui…
aujourd’hui je suis bien obligé de faire l’autoproduction de
tout. Mais enfin, quelle belle réussite… me voici chef
d’entreprise… et à la force du poignet nous entrerons sûrement
dans le gratin du CAC 40…(qui dans la chanson se nomme TOP 50)…
C’est vrai qu’au début et assez longtemps, j’ai été
confortablement pris en charge par ce que l’on appelait « les
maisons de disques » et mon seul métier consistait à écrire
et à chanter. Le producteur me produisait, les représentants me
représentaient, l’attaché de presse m’attachait et le directeur
artistique m’artistiquait… Que voulez vous, tout change.
4-Comment avez-vous connu Cora Vaucaire ? Quelles sont vos relations avec les autres artistes en général ?
J’ai su un jour que Cora Vaucaire préparait un spectacle de longue haleine au Théâtre de Paris et qu’elle désirait une première partie. Je lui ai téléphoné (car les mails n’étaient pas encore prévisibles) et j’ai obtenu un rendez vous dans sa maison à Neuilly sur Seine, avec elle et sa vingtaine de chats…C’est ainsi que nous avons partagé (sans les chats) pendant un mois, la superbe scène du Théâtre de Paris, où nous avons fait le plein chaque soir, grâce à sa notoriété et à son talent. Pour la deuxième partie de votre question, les relations auprès de mes collègues se passent comme pour tout le monde, selon les affinités naturelles, mais avec une particularité de taille, liée au fait que, partageant le même métier, nous en connaissons les mêmes angoisses, les mêmes espoirs contre vents et marées, le même trac avant, pendant et même après le spectacle, lorsqu’il nous faut affronter les regards, les commentaires…ou pire les silences. Ceci tisse entre nous une compréhension bien au-delà des mots. Et nos relations fonctionnent le plus souvent particulièrement bien autour d’une table normalement garnie, car je connais très peu d’artistes sans appétit…
5- Quelle flamme vous a guidé pour la réalisation de ce superbe nouveau disque alors qu'on nous parle sans cesse de la crise ?
Puisque
vous utilisez le mot flamme, je vous répondrai que je brûlais du
désir de réaliser un nouvel album depuis le dernier enregistré en
public à Sarrebruck. Mais la réalité économique engendrée par
l’autoproduction (un album coûte cher !) a ralenti mon
projet. Enfin, le voilà terminé et il représente pour moi la
traduction discographique de ce que nous essayons de faire passer sur
scène, en essayant de trahir le moins possible les émotions et donc
le public. Et ce métier est fait de telle sorte que si l’on
n’enregistre plus, on n’existe plus. De ce fait il était temps
de me prouver de mon vivant que je suis encore vivant… c’est
aussi ça la flamme du chanteur inconnu. Et quelle belle aventure la
rencontre d’une équipe autour de moi en « live » …
la découverte des arrangements réalisés par Jean-Luc Arramy dans
son studio et de ses musiciens… la fidèle participation de Robert
Restout qui me suit sur scène avec son accordéon… l’élégante
pochette réalisée par Sandrine… les instantanés photos de
Thierry… toutes ces histoires d’amitié nourrissent la flamme qui
me pousse en avant. Et maintenant, rendez vous avec le public pour
que ça chauffe…
6- Qu'attendez-vous
de cet album et actuellement, dans un monde artistique un peu
(euphémisme) bousculé, fragilisé, qu'attendez-vous de la musique
?
Tout d’abord, qu’il
procure une détente à tous ceux qui vont le découvrir et qu’il
ne déçoive pas ceux qui me connaissent et attendent de moi une
évolution dans la rigueur de l’écriture. Ensuite, j’aimerais
que ce nouveau CD , dont j’ai choisi pour titre « Fragile
accalmie », me permette, grâce au travail de mon agent
artistique et ami Gérard Lôo, de signer de nouveaux engagements de
concerts et qu’il m’entrouvre à nouveau les portes des médias,
de ceux qui se tournent encore vers la chanson d’expression
française. Et je crois que ce doit être aussi le souhait de mes
nombreux camarades qui pratiquent le métier de chanteur.
Au-delà
de cet aspect de carrière, j’attends de la musique qu’elle
demeure ce fameux langage universel qui nous réunit tous autour de
l’émotion et justement, pour bien suivre votre question, dans un
monde « bousculé, fragilisé » bien plus loin que les
limites du monde artistique.
Que la musique et ses mots puissent
nous offrir ces moments de « Fragile accalmie », comme un
repos.
7- Vous avez une grande oeuvre sur plusieurs
décennies : quand vous vous retournez sur votre passé, quel bilan
faîtes-vous, quel regard posez-vous sur le jeune homme d'autrefois
qui faisait les cabarets ?
Disons,
si vous le permettez, que depuis plusieurs décennies, puisque tel
est mon âge, j’œuvre pour me construire dans ce métier, en
évitant de trop souvent me retourner, car ça me provoque des
vertiges…J’essaye en tout cas derrière moi de ne pas me perdre
de vue, bien que ma fille ait eu le toupet ces jours ci de me
transformer en grand père…
La période des cabarets me fut
très constructive… les cabarets chaque soir étaient pleins…pleins
de gens merveilleux, attentifs au langage et prêts à
l’enthousiasme. Et cela enrichissait largement nos cachets
d’artistes… C’est sans doute un peu cela qui me manque
aujourd’hui. Et en ces temps là, je n’avais pas encore le bel
âge de la nostalgie.