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29 juin 2023

Que reste t-il de Pauline Julien ?

Que reste t-il de Pauline Julien ?

[Dossier] 

 

Pauline Julien - Allez voir vous avez des ailes

 

 

...C'était bien avant les vocalises explosives de Céline Dion, native de Charlemagne (Québec). C'était avant les vocalises plaintives de Mylene Farmer, native de Pierrefonds (Québec). C'était encore avant les vocalises rock de Diane Dufresne et celles plus variétoches de Fabienne Thibeault, natives de Montréal (Québec). C'était avant la voix désespérée flanquée d'une guitare d'une Diane Tell, native de...Québec (encore), avant la voix plutôt classique d'Edith Butler, native de Paquetville (Nouveau-Brunswick), perdue dans les méandres d'une musique folk assez commerciale (dans laquelle on mettra aussi Lynda Lemay, native de Portneuf, Québec, qui nous laisse toujours un goût de je-ne-sais-quoi d'imposture). C'était longtemps avant les errances expérimentales de Klô Pelgag, native de Gaspésie. 

Avant ? 

Et bien il y avait Pauline Julien. 

 

 Elle est l'ombre qui plane sur la culture canadienne après la seconde guerre mondiale (avant elle, il y eut la Bolduc) : nous disons bien canadienne et non québécoise, car elle jouissait d'une notoriété indiscutable par son talent, la sincérité de ses engagements dans le Canada anglophone, pourtant peu enclin à reconnaître l'apport des francophones au roman national (on retiendra son passage à l'émission Three women, sur la chaîne SRC, à Toronto en 1975). Et puisque nous y sommes, l'ombre de Pauline Julien plane sur la chanson francophone. Pourtant, vous nous direz, on ne la voit plus nulle part, on ne la cite plus nulle part, en tout cas pas en France (ou si peu), aucune diffusion radio, aucun souvenir que ce soit à la presse ou à la télévision. Certes. Pauline Julien est l'éléphant dans la pièce, pour reprendre cette expression anglaise. Avant-gardiste de son vivant, avant-gardiste dans l'au-delà. Après tout, les médias et leur frénésie pathétique de buzz sont-ils adaptés à une personnalité de cette trempe ? Peuvent-ils seulement l'appréhender sans la simplifier, sans la caricaturer ? Ceux et celles qui l'ont aimé, qui s'en souviennent, qui sont encore vivants, refusent de l'oublier.

 

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Et si le temps faisait son œuvre ? En France on redécouvre Barbara vingt ans après sa mort (un peu plus). Le vendredi 8 juin, le Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts était plein à craquer pour applaudir le spectacle La Renarde, hommage de 14 chanteuses à Pauline Julien. Une belle ouverture pour la trentième édition des Francos de Montréal. On pense aux propos de la chanteuse comédienne Inès Talbi : « Si elle avait été un homme, elle aurait eu une rue qui n’est pas une espèce de quatre mètres avec des immeubles pareils, derrière un parc. Elle aurait eu un boulevard, un aréna et probablement une station de métro » (interview accordée à Radio Canada). Oui sans doute. Mais entre un hommage vivant, chaleureux, original et un nom plaqué à l'entrée d'une station de métro que les gens utilisent par habitude, nous nous demandons si l'hommage n'est pas mieux. Après, évidemment, l'un et l'autre ne sont pas incompatibles.

 

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 Oeuvre du muraliste Laurent Gascon, rue Ontario, Montréal  (source: jacqueslanciault.com) 

Mais alors du côté français, que se passe t-il concernant Pauline Julien ? Pas grand chose. Mais quelques choses. Nous avons choisi de fêter les dix ans de notre blog en rappelant l'importance de la chanteuse. Mais plutôt que de dresser une litanie d'événements chronologiques, flanquée de la sempiternelle discographie, nous avons privilégié le témoignage d'artistes actuels liés d'une façon ou d'une autre à Pauline Julien. Soyons francs, ce ne fut pas chose facile, vraiment pas. Certains artistes sollicités n'ont tout simplement pas répondu. Une autre chanteuse qui a le vent en poupe au Québec a répondu via son secrétariat qu'elle n'avait pas le temps. Il ne nous appartient pas de juger. Nous savons à quel point il est délicat aux artistes de leur demander de parler d'autres artistes. L'artiste a son ego. On peut le déplorer, évoquer la solidarité, la piété, la morale et tout le reste, les artistes sont les artistes et sans cet ego, ils ne monteraient pas sur les scènes, ils ne feraient pas de disques, n'apparaîtraient pas dans les clips. Les artistes qui ont accepté d'évoquer leur rapport à Pauline Julien ont leurs propres parcours, destinées, ce sont des fortes personnalités, plutôt hors-courants, il faut bien dire, et qui sait, ce n'est peut-être pas un hasard s'ils ont chanté/chantent Pauline Julien. On ne les remerciera jamais assez.

 

 

***

 

 

FAUCHER par Norbert

 

Céline Faucher par Norbert Gabriel

 

Si les Francos de Montréal ont proposé un spectacle-hommage à Pauline Julien, rien de nouveau à l'horizon, contrairement à ce que les médias essayent de faire croire. Voilà des années que la chanteuse québecoise Céline Faucher sillonne le Québec ET la France avec ses tours de chant consacrés à la Julien. Elle est la femme interprète la plus régulière, incontestablement et on peut dire qu'elle a contribué à maintenir jusqu'à maintenant un intérêt pour la chanteuse, même quand les médias (tous supports confondus) étaient plus discrets. Son témoignage sur Pauline Julien est plein d'enseignements, nous avons choisi de le livrer tel quel.

 

 

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PAULINE JULIEN De pasionaria à oubliée…

 

(Céline Faucher) 

 

Pauline Julien était auteure, interprète et comédienne. Elle a pris parole à travers ses chansons. Les québécois, les femmes et les gens de partout se sont reconnus à travers ses mots. Elle a chanté au Québec, dans l’Ouest canadien, en France, en Suisse, en Belgique, en Russie, à Cuba... On l’a nommé, bien malgré elle, la Passionaria du Québec et pourtant, 20 ans après son décès je me fais dire régulièrement, mais voyons, qui s’intéresse à Pauline Julien, plus personne ne la connaît ! Et pourquoi une interprète chanterait une autre interprète ? 

 

Pauline Julien est née à Trois-Rivières le 23 mai 1928. Très tôt cette petite dernière d’une famille de onze enfants rêve de faire du théâtre, de chanter et de danser ! C’est en 1946, à Québec, avec les Comédiens de la Nef qu’elle fait ses débuts au théâtre. Par la suite, elle poursuit cette aventure à Montréal avec la Compagnie du Masque à Montréal. (1) À cette époque, il n’y a aucune école de théâtre au Québec. Les comédiens apprennent leur métier « sur le tas » comme on dit. C’est l’époque de la grande noirceur au Québec. En 1951, elle décide donc, à l’instar de plusieurs artistes québécois, de s’installer à Paris pour y étudier le théâtre. Et c’est le Premier-Ministre du Québec, Maurice Duplessis, qui lui offrira une petite bourse pour qu’elle puisse étudier le théâtre à Paris ! 

 

Son premier séjour à Paris durera 6 ans et c’est le théâtre qui lui offrira ses premières expériences en chanson. Le plaisir de chanter, plaisir partagé avec le public, l’incitera à suivre des cours de chant. C’est le début d’une longue carrière qui passera par les cabarets parisiens de la Rive gauche jusqu’à ses derniers concerts en France et au Québec; Gémeaux Croisées (avec Anne Sylvestre) et Voix parallèles (avec Hélène Loiselle). 

 

Bien sûr, nous nous souvenons d’elle aux « dates anniversaires de son décès »… Mais entre les 10 ans, 15 ans… 20 ans… Où se trouve-t-elle dans le panorama de la chanson ? Pourquoi dit-on que plus personne ne s’intéresse à Pauline Julien ? Avons-nous un problème de mémoire ? Est-ce parce que Pauline Julien était une femme et qu’elle osait dire tout haut ce que les autres pensaient tout bas ? Est-ce parce qu’elle est associée à l’indépendance du Québec ? Au combat pour la langue française au Québec ? Au mouvement féministe ? Est-ce parce qu’elle « n’était qu’une interprète » ? Est-ce parce que l’industrie de la musique, toujours à la recherche de succès instantanés, a mis de côté les chansons « dites à textes »… des chansons ayant du contenu à travers lesquelles les gens se reconnaissent ? Est-ce parce que le public habitué aux spectacles télévisés, aux « Star Académie », aux succès de l’heure qui tourne en boucle à la radio et que l’ont peut télécharger en un clic sur Internet n’est plus curieux ? Est-ce parce que la chanson francophone n’est plus à la mode ? Est-ce parce que son public vieillit et qu’il est moins nombreux ? 

 

Voici ce que je réponds : 

 

Pauline Julien n’était pas « qu’une interprète », en tant qu’artiste, elle a contribué à faire découvrir des auteurs, des poètes de la francophonie, à faire rayonner leur oeuvre partout où elle s’est produite; a signé plus d’une trentaine de textes sans oublier tous les auteurs qui lui ont écrit des textes dont elle est, encore à ce jour, la seule interprète et que ce répertoire, toujours d’actualité, parle autant aux jeunes qu’aux moins jeunes.. Il suffit de faire l’effort de les atteindre; 

 

Pauline Julien avait des convictions, femme intègre, entière, elle était avant-gardiste; a fait des choix…ses choix; s’est impliquée socialement pour les causes qui lui tenaient à coeur, généreusement envers les gens qui vivaient des difficultés et que par ses actions, par la chanson, elle a pris parole pour eux. 

Céline Faucher - Litanie des gens gentils

 Ce que je constate aujourd’hui, c’est que malgré tout, à chaque fois que j’ai la chance de chanter Pauline Julien, que ce soit au Québec, en France ou en Suisse, les gens viennent pour entendre à nouveau le répertoire que Pauline Julien nous a fait connaître et qu’elle a contribué à bâtir. Un répertoire qui leur manque et qu’ils ont eu plaisir à découvrir ou à redécouvrir ! Nous avons tous le devoir de nous souvenir de ceux qui nous ont tracé le chemin et Pauline Julien fait partie de ces gens.   

Qui s’intéresse à Pauline Julien ? Je vous réponds, beaucoup plus de gens que vous ne le pensez !  

Céline Faucher (2012 / mis à jour en 2018

(1) Archives Nationales du Québec  

Voici là un vibrant témoignage écrit à l'origine à la demande de feu Gérard Gorsse pour son site Chanson Rebelle (pour un dossier qui ne vit jamais le jour). Céline Faucher a beaucoup tourné avec son spectacle 'A la rencontre de Pauline Julien' au Québec, en France. On peut, n'ayons pas peur, parler de mission, c'est une mission, belle, que de faire voyager tout en mettant au goût du jour, le répertoire d'une artiste. Et ça marche, partout où Céline Faucher passe, le public vient !

Maman, ta petite fille a un cheveu blanc - Céline Faucher

 

 ***

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 Jann Halexander par Pierre Orcel 

En France, Jann Halexander ('Papa, Mum', 'Aucune Importance', 'C'était à Port-Gentil') est à notre humble connaissance le seul homme à chanter Pauline Julien. Ses interprétations sont passionnées (trop diront certains) mais c'est à l'image du chanteur qui a souvent repris également Anne Sylvestre, Francis Lemarque. En pleine préparation au moment où nous le sollicitions, d'un concert à l'Archipel (qui affichait quasi-complet, c'était le 31 mai dernier), il a accepté de se livrer sur la chanteuse québécoise. 

'Pour moi, Pauline Julien c'est d'abord un visage qui m'a marqué, pour faire bref, lors de mon enfance à Ottawa à la fin des années 80, j'étais à une sorte de kermesse, tout petit, des gens vendaient leurs disques, et il y avai un disque avec le visage d'une femme, au port altier, sublime, j'étais captivé (par la suite, j'appris que c'était la pochette du disque 'Allez voir, vous avez des ailes').

Plus tard, je l'ai redécouverte à travers le disque live 'Gémeaux Croisés' avec Anne Sylvestre. Puis j'ai découvert peu à peu presque tout son répertoire. La chanson 'L'étranger', c'est de la haute volée. Pour un artiste aux origines africaines comme moi, cette chanson me parle. J'ai commencé par chanter régulièrement à partir de 2013, dans mes tours de chant 'l'âme à la tendresse', qui est l'une des plus belles chansons en général, pour moi. Le texte est court, puissant, profond et la musique est magnifique, l'introduction musicale à chaque fois me donne les larmes aux yeux. J'ai choisi de lui consacrer un spectacle en ce début d'année, en mélangeant mes chansons aux siennes, faire le lien, car la chanson est transmission aussi, voire surtout. A chaque fois, beaucoup de monde, on a dû refuser des spectateurs. Mon bonheur c'est que de nombreuses personnes venues voir ce tour de chant ne connaissaient pas du tout Pauline Julien et ont eu envie de la découvrir davantage après.

Jann Halexander - L' étranger (Pauline Julien)

Il y a beaucoup de similitudes entre elle et moi : le côté force de caractère, un certain entêtement farouche, une quête de liberté, de transcendance, une exigence pour cette citoyenne du monde que les hommes se respectent, avec leurs différences. Quand elle chante 'Le temps des vivants', je tremble, quand elle dit 'je préfère l'indépendance à leur existence de troupeau', j'acquiesce. C'est quelque chose hélas qu'on connaît en Afrique, dans trop de pays, où les gens sont prêts à survivre sous des dictatures et à vivre comme des zombies terrifiés, qui traitent en pestiféré celui qui se lève et dit 'ça suffit'. Pauline Julien, c'est une personne entière : chanteuse, écrivaine, militante, oui ça me parle, ça entre en résonance avec mon parcours personnel. Et son choix de textes en tant qu'interprète m'impressionne par sa diversité : Vigneault est en voisinage avec Kurt Weil, Boris Vian croise Anne Sylvestre. Et les musiques sont très travaillées, il y a des accents pop, variété de qualité, on retient les airs. Il y a quelque chose de mystérieux dans mon rapport à Pauline Julien, je le dis clairement, je me fiche éperdument de passer pour un mystique. Le fait que sa fille me donne le feu vert pour le spectacle, avec un enthousiasme incroyable, qui fait chaud au cœur, c'est un signe, je l'en remercie. Elle m'a beaucoup encouragé, des mots simples qui donnent de la force. Et puis...il faut dire que Pauline Julien était une belle femme. Il y a chez elle un certain magnétisme. Incontestablement.

Je frissonne quand j'écris sur elle, vraiment. Je voudrais faire un disque de reprises. J'ignore si et où et comment le spectacle 'A Nos Tendresses' va continuer, j'essaye de le défendre en parallèle du spectacle 'A Vous Dirais-Je', mais le disque de reprises c'est l'occasion de laisser une belle trace. Elle est un peu oubliée par beaucoup de canadiens, j'ai l'impression. Devant un cabaret, une fois, à Paris,  après un concert que j'avais donné, je discute avec un groupe de touristes québécois, un peu plus âgés que moi. Aucun ne la connaissait. J'avoue que cela m'a fait mal au coeur. C'est d'ailleurs étrange, mais je me sens blessé, je le prends pour moi, quand en face on me dit 'Pauline Julien, bôf'. Mais cela ne sert à rien de trop s'attarder sur ça. Tout passe, de toute façon, on est toujours l'inconnu de quelqu'un. Mais à mon niveau, si je peux contribuer à ce que de temps en temps son astre brille, alors je le fais, j'aime le faire.'

Jann Halexander chante Pauline Julien 'LA SOLITUDE ENCORE'

***         

Pauline

 

Il me reste un pays/Pauline Julien

         La personnalité et les chansons de Pauline Julien sont un défi lancé aux promoteurs du fédéralisme canadien, rêvant d'un pays lissé, uni, consensuel de Vancouver à la Gaspésie. Le Canada de Trudeau fils ne peut pas récupérer facilement l'héritage d'une femme, indépendantiste, qui fit de la prison pour ses idées, au même titre que son compagnon, l'homme politique Gérald Godin, une femme qui chante 'Je suis Québec mort ou vivant'. Le Canada de Trudeau fils préférera Céline Dion à une chanteuse qui refusa de chanter devant la Reine Elizabeth II en 1964 et qui fit de la prison pour ses convictions en 1970, sous le gouvernement de ...Trudeau père. A la limite le canadien post-fédéraliste consentira à évoquer avec tendresse la figure de Félix Leclerc, le mettant dans un rayon gentil folklore québécois et en omettant soigneusement son attachement à l'idée d'un Québec indépendant : que voulez-vous, on pardonne plus facilement à un homme qu'à une femme.

Pauline Julien s'exprime sur son arrestation pendant la crise d'octobre 1970

  

        D'ailleurs, parlons-en de la condition féminine : le féminisme contemporain n'évoque presque pas Pauline Julien. Peut-être parce qu'elle était consciente d'être belle, s'attachait à être belle et utilisait sa stupéfiante féminité comme une arme. Cette attitude passe mal vis à vis d'un certain courant féministe qui voudrait que le fond prime sur la forme et qui considère qu'être sexy est, pour une femme, une soumission à l'ordre masculin. Bien sûr, nous caricaturons...à peine. Pauline Julien aimait les hommes, elle chante leurs textes : Gilles Vigneault, Michel Tremblay...elle les aimait autour d'elle, elle leur chante de magnifiques déclarations d'amour ('Je vous aime', 'La solitude'), elle aime leur faire l'amour. Elle ne s'excuse pas, ne se justifie pas d'aimer les hommes. Et peut-être que ça passe mal vis à vis d'un certain courant féministe (important sans être représentatif) qui préfère le silence, gêné. Et puis la Julien invite les femmes à la sensualité, il faut écouter, savourer 'Allez voir, vous avez des ailes'. Il y a une charge érotique, soyons honnêtes, quand elle chante, une sensualité exacerbée qui explique les publics conquis et les salles pleines (quand les ventes de ses disques étaient plus modérées), lorsque la Julien débarque avec sa flamboyante crinière brune-rousse, ses seins pointés visibles sous son chandail. Certains diront qu'elle exalte la féminité et l'appel à la sensualité, d'autres crieront à la provocation.

 

Pauline Julien en scène

 

         La mémoire et l'oubli. Nous évoquions plus haut à quel point l'ombre de Pauline Julien planait sur la culture canadienne. Oui, beaucoup de gens se souviennent d'elle ici et là, son nom figure dans de nombreux ouvrages. On ne peut pas en dire autant de toutes ces chanteuses pop québécoises des années 70, complètement oubliées. A travers ce dossier, nous essayons tant bien que mal de réaffirmer l'importance incontestable de Pauline Julien. La journaliste à polémiques Denise Bombardier, dans son dictionnaire amoureux du Québec, évoque la Julien 'excessive' qui 'engueulait' ceux qui critiquaient le Québec et le mouvement indépendantiste. Le déclin relatif de Pauline Julien débute à l'aube des années 80 (qui voient le triomphe de Starmania, sur un livret du québécois Luc Plamondon, avec Louise Forestier dans le rôle de Marie-Jeanne) : l'échec du référendum pour un Québec indépendant le 20 mai 1980 donnera un coup d'arrêt aux élans lyriques indépendantistes portés par les artistes, les intellectuels, les politiques. Enfin, soyons francs, la cause indépendantiste poussée dans ses retranchements n'a pas laissé que de beaux souvenirs, en témoignent le kidnapping et l'assassinat du ministre Pierre Laporte par le Front de Libération du Québec. L'odeur de mort expliquera sans doute en partie les échecs des indépendantistes aux élections. Et l'adhésion d'une large partie de la société québécoise à l'histoire canadienne, au fédéralisme canadien.

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Pauline Julien - La Manic

 

                  Et 'l'Amérique française' (raccourci facile pour désigner le Canada francophone) devint alors...l'Amérique tout court. Celle d'une culture mainstream, pas forcément mauvaise en soi, mais différente. Les chanteurs de pop anglophones affolent les top 50 au Québec, et à l'aube des années 90, Céline Dion débarque dans le paysage audiovisuel, suivie dans le sillage des vocalises galactiques de Lara Fabian, venue de sa Belgique natale faire carrière au pays de la feuille d'érable. Les québécois, plus largement les canadiens francophones, veulent qu'on leur parle d'amour gentillet et non de passions amoureuses, de tolérance universelle et de bons sentiments, pas d'élans nationalistes lyriques. Un nouvel air souffle sur la société québécoise. Autrefois 'nègres blancs' (pour faire allusion au livre de Pierre Vallières, paru en 1968), les québécois sont devenus des blancs comme les autres, de classe moyenne, de classe supérieure, ils possèdent une partie du pouvoir économique canadien (quand autrefois, au Québec, la majorité des entreprises étaient aux mains des anglophones), du pouvoir politique (si l'indépendance n'a pas eu lieu, l'autonomie a été renforcée), bref, ils mangent bien, sont de grands consommateurs et ne se font plus autant d'inquiétude sur leur place dans l'Amérique du Nord. D'ailleurs, que la langue française perde objectivement du terrain, y compris à Montréal ne semble pas trop leur poser de problème de conscience. Alors comment, dans ce contexte, des chansonniers indépendantistes pourraient susciter l'engouement comme ce fut le cas pour Gilles Vigneault , Pauline Julien, Claude Léveillée, Jean-Pierre Ferland dans les années 70 ? D'ailleurs, il suffit de comparer les dernières productions de Ferland aux anciennes. On perçoit une tendance à lisser, 'aseptiser' les chansons. Vigneault propose des compilation ou encore des disques de duos (avec Nana Mouskouri, Anne Sylvestre, Aznavour). Et tant pis pour les nuances, les subtilités, les audaces d'esprit. Qu'on ne vienne pas nous dire à la rédac que nos propos ne représentent que nous-mêmes. Cela aurait pu être le cas, mais certaines personnalités médiatiques actuellement sonnent quand même le tocsin sur la façon dont des pans entiers de la culture québécoise tombent dans l'oubli un peu vite, Denise Bombardier l'a dit, écrit avec les levées de bronca que cela suscite. Le déclin de tout un patrimoine qui élèverait les gens vers le haut s'accélère dans une société où seulement 11 % des Québécois sont en mesure de résumer des informations tirées de textes longs et complexes (dixit le Journal de Montréal en 2016). Et nous depuis la France, qui écrivons sur les mutations, les soubresauts du monde 'chanson', cette situation nous interpelle, nous incite à la vigilance, y compris pour l'hexagone.

Pauline Julien - Mummy extrait concert

 

Bon. Nous parlions de Pauline Julien, et nous parlons histoire, politique, sociologie. Eh, mais qu'est-ce que vous croyez ? N'écoutez-pas ceux et celles qui voudraient faire croire qu'il y a les chanteurs d'un côté et la société de l'autre : la culture EST politique. Il faut rappeler les perfidies sur Pauline Julien, soupçonnée de clamer son engagement militant pour vendre. D'ailleurs encore maintenant, elle n'échappe pas à ce sobriquet de chanteuse indépendantiste comme si elle n'avait été que ça. L'un de ses plus grands succès évoque la vie de couple et non le Québec, ou la guerre : 'As tu deux minutes' le 19 février 1972 atteint la sixième place du palmarès francophone. Ce n'est d'ailleurs pas tout à fait une chanson, mais le parlé d'une femme à son mari. La tentative de dialoguer dans un couple au bout de plusieurs années. Un titre qui marqua profondément l'enfance de l'universitaire Michel Rheault qui sort en 1993 l'ouvrage 'Les voies parallèles de Pauline Julien' chez Gallimard Montréal, qui sera réactualisé en 1998.

Pauline Julien - 8 heures 10 (As-tu 2 minutes ?)

Pauline Julien - Chu tannée Roger

 A noter par ailleurs que Michel Rheault a écrit un ouvrage tout aussi intéressant consacré à Dalida, en 2002 et réactualisé l'an dernier, 'Dalida, une œuvre en soi'. 'Les voies parallèles' sont un ouvrage plus digeste que l'imposante biographie malheureusement trop superficielle signée par Louise Desjardins, 'La vie à mort', paru en 1999. Ouvrage qui tout de même met l'accent sur une Pauline Julien chanteuse du tendre comme capable de faire la révolution quand il le faut et aussi sur une dimension plus 'dark' : la chanteuse pense souvent à la mort, c'est quelque chose de criant dans les textes, notamment 'La vie oui' sur son dernier disque 'Où peut-on vous toucher ?', paru en 1986. Mais ne nous trompons pas, elle ne se complaît pas dans l'idée de mort, elle évoque pour mieux saisir l'urgence de vivre et d'aimer. Il demeure une réelle mélancolie dans nombre de ses chansons, à l'instar de Dalida : femmes célèbres, femmes fortes, femmes voulant maîtriser leurs vies du début à la fin, femmes refusant le droit aux autres d'avoir prise sur leurs chemins de vie, et qui décident de se donner la mort (pour des raisons différentes, certes) à neuf ans d'intervalle. Aux puristes, aux claniques qui s'étonneraient que dans une même phrase, on mette Pauline Julien et Dalida : d'abord par ici, nous le rappelons encore, ces courants, les clans, les étiquettes nous ennuient profondément (pour ne pas dire nous emm...).

Pauline Julien ' Une sorcière comme les autres' extrait concert

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          Ensuite...Pauline Julien fut une star. Non, pas une personnalité reconnue. Pas une chanteuse intéressante. Ce qui aurait été très bien aussi, évidemment. Mais non, elle fut une star. Celle qui à la fin des années 70 porte des robes à paillettes, les cheveux longs, de beaux bracelets, de belles bagues. Qui décide d'arrêter les tours de chant au milieu des années 80 tels qu'elle les faisait habituellement. Parce qu'elle est fatiguée d'attendre le bon vouloir des directeurs de salles pour être programmée (micro-entretien dans 'Paroles et musique'). Logique, on ne fait pas attendre les stars. Après tout, elle a chanté en France, en Belgique, en Suisse, en Pologne, en Russie. Pour son dernier disque, toujours pas réédité en album cd ou en digital (mais que font les maisons de disques de leurs pépites?), relativement passé inaperçu, elle réinterprète le fameux et drôle 'Voyage à Miami' (Luc Plamondon / François Cousineau), elle livre une version martiale de 'Rien qu'une fois faire des vagues' d'Anne Sylvestre et interprète deux chansons dont la musique est signée Marie-Paule Belle : 'La peur' et 'Les sentiments'. Côté musiciens, on note la présence de ...Manu Katché à la batterie. Ses colères ressemblent aux colères de la Callas, comme le rappelle Richard Boivin dans 'Mémoire des âmes', paru en 2013, lorsqu'il évoque Pauline Julien à Antenne 2 qui envoie paître Brigitte Bardot : ''C'est pas une millionnaire qui va me dire quoi penser !''. La Bardot, déjà impliquée dans la défense animale reproche à la chanteuse de prendre la défense des chasseurs de phoques sur l'île de la Madeleine, en évoquant l'hypocrisie des français qui gavent les oies. Une telle séquence en 2018 ferait le buzz, c'est certain.

 Pauline Julien : 'Maman ta petite fille a un cheveu blanc'

  

'Jusqu'où peut-on vous toucher' passe relativement inaperçu, se vend peu. Et la Julien ne se satisfait plus des tours de chant classiques.

 

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Pauline Julien - Urgence d'amour

 

En 1984 (deux ans avant qu'elle annonce son intention d'arrêter les spectacles en solo), elle joue dans Grandeur et décadence de la ville de Mahogonny. Elle n'a jamais vraiment délaissé Brecht & Weill, puisqu'en 1978, elle interprète le rôle d’Anna (dansé par Sylvie Kinal-Chevalier) dans le ballet Les Sept Péchés capitaux de Weill. En 1985, infatigable, elle défend les chansons de son dernier disque au Québec, en Algérie, en Italie, en Suisse, au Luxembourg, en Belgique, en France. 

 

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                                         Pauline Julien, Espace Go, Gémeaux Croisées. Par Josée Lambert, 1988/1989

Anne Sylvestre et Pauline Julien (1988) "Rien qu'une fois  faire des vagues..."

Anne Sylvestre et Pauline Julien, "Télé Caroline" 1988

 La visite d'Anne Sylvestre, une amie, autre star de la chanson venue de France, de passage au Québec, va donner naissance à une belle idée bientôt concrétisée en un spectacle devenu depuis mythique : 'Gémeaux croisés' en 1988. Ce n'est pas tout à fait un concert, ce n'est pas du théâtre, mais un spectacle de chanson théâtralisé. Il n'existe pas à notre connaissance de vidéos de ce spectacle, ce qui renforce sa dimension mythique évidemment tant il marqua le public. Anne monte sur le piano, Pauline s'époumone à chanter Brecht, allusion à ses débuts, il y a de l'émotion, beaucoup d'humour, de tendresses évidemment. La première a lieu au théâtre Maxime Gorki, à Berlin. Le spectacle bénéficie d'un partenariat avec Air Canada, est présenté au Canada, à Saint-Pierre et Miquelon, en France, en Belgique, en Suisse. Rétrospectivement, la complicité Julien-Sylvestre est évidente, inévitable. Deux femmes, certes, pas tout à fait de la même génération, la canadienne étant un peu plus âgée, mais deux femmes, chanteuses, libres, féministes assumées et ne cachant pas leurs belles colères. Pauline Julien a beaucoup chanté Anne Sylvestre notamment 'Non tu n'as pas de nom', 'Une sorcière comme les autres' et a très probablement contribué au succès outre-atlantique d'Anne Sylvestre, peut-être plus vite reconnue au Canada qu'en France à cette époque (nul n'est prophète etc etc). Une autre anecdote au sujet de ce spectacle, pour l'occasion, les chanteuses furent parmi les premiers artistes à utiliser le micro sans fil, pour se mouvoir plus facilement. Il faudra attendre les années 90 pour voir la pratique se généraliser. Les années 80 sont d'ailleurs propices à une certaine forme d'audace : Barbara prend un chapiteau pour un mois en 1981, Catherine Ribeiro investit Bobino pour 3 semaines, Julien Clerc est le premier chanteur à se produire à Bercy en 1985, suivi d'Higelin, Mylene Farmer en 1989 devient la première chanteuse européenne à proposer des shows dits à l'américaine. Il règne dans de nombreux courants musicaux une forme de folie étrange qu'il faudra peut-être analyser un jour ou l'autre sans forcément idéaliser les années 80, comme trop de gens font (journalistes et programmateurs en tête).

 

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 Anne Sylvestre & Pauline Julien par Caroline Rose, Espace GO, 1988/1989

 

Après 'Gémeaux croisés' , Pauline Julien présente un dernier spectacle atypique lui aussi, un récital de poésie, 'Voix parallèles', avec la comédienne Hélène Loiselle, en 1990. D'ailleurs au tournant des années 90, elle retourne vers le théâtre, là où elle a commencé dans les années 50, ne l'oublions pas : Rivages à l'abandon de Heiner Müller (1990), La Maison cassée de Victor Lévy Beaulieu (1991) et Les Muses au musée au Musée d'art contemporain de Montréal (1992). Cette urgence de vivre, car c'est de cela qu'il s'agit doit être mis en parallèle aux premiers symptômes qu'elle éprouve de sa maladie.

 

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Pauline Julien est nommée en 1997 chevalière de l'ordre national du Québec. Pour l'ensemble de son œuvre... et quelle œuvre ! Il y a plusieurs périodes chez la femme : d'abord comédienne dans des troupes de théâtres qui sillonnent la France au début des années 50. Puis la chanteuse, notamment de Boris Vian, Brecht. Elle commence rive gauche, aux côtés d'Anne Sylvestre, Barbara, Léo Ferré. Elle emmène le style rive gauche à Montréal dans le cabaret Saint-Germain-des-prés dès 1958. Son premier disque sort en 1962 et on reste stupéfait par la grande productivité de la chanteuse, en moyenne un disque par an ! Dès la fin des années 60, elle chante les auteurs québécois. C'est une chanteuse diseuse aux cheveux plutôt courts, en choucroute, elle porte le tailleur, impeccable de la tête aux pieds, dont le talent d'interprétation est de la même trempe que Cora Vaucaire ou Catherine Sauvage. C'est alors quelques chansons : 'Jack Monnoloy', 'Bozo les culottes', 'Le rendez-vous', 'Ne vous mariez-pas les filles', Suzanne', 'La Manic', 'Ah que l'hiver'. Il y a la chanson, il y a le cinéma aussi, elle apparaît du milieu des années 60 au milieu des années 70 dans plusieurs films québécois :  La Terre à boire (1964), Fabienne sans son Jules (1964), The Trial of the Swordfish (1969), Bulldozer (1971), Pleure donc pas Germaine(1972), et La Mort d'un bûcheron de Gilles Carle (1973). Films peu connus en France, qui répondaient à une demande de tout un public québécois de se voir à l'écran. Le début des années 70, c'est une Pauline radieuse, crinière de lionne, robes et veste en jean qui chante devant des foules lors de concerts mémorables en plein air. Musicalement, elle devient plus rock, plus country même, et pop, en témoigne la richesse visuelle incroyable des pochettes de ses disques. La diction de bonne élève (sans connotation péjorative de notre part) a fait place à une diction assurée, et c'est alors toute l'urgence de vivre qu'on ressent à travers ses disques. On ne parle plus de fulgurance, mais de grâce avec ' Chu tannée Roger', 'Le plus beau voyage', L'âme à la tendresse', 'L'étranger', 'Litanie des gens gentils', 'Mommy', 'Urgence d'amour', 'Quatorze à table'. Les années 80 furent moins prolifiques avec toutefois quelques pépites : 'Maman ta petite fille a un cheveu blanc', 'Agricole'. Et les textes plus sombres aussi. 

Pauline Julien, intime et politique

 Il devrait y avoir pas mal d'actualités autour de Pauline Julien à la rentrée notamment avec la sortie d'un documentaire dont la bande-annonce donne l'eau à la bouche, intitulé 'Pauline Julien : intime et politique'.

 

VALERIE DESCHAMPS

                                                                                           Valérie Deschamps

Nous approchons vers la fin et proposons cet entretien avec Valérie Deschamps. Étudiante au Baccalauréat en Histoire à l'Université du Québec à Trois-Rivières et travailleuse communautaire, Valérie Deschamps milite activement dans les mouvements féministes et indépendantistes québécois. C'est dès l'hiver 2019, qu'elle débutera ses recherches sur Pauline Julien pour la maîtrise en Études québécoises, toujours à l'UQTR.

 

Pourquoi s'intéresser à Pauline Julien dans le cadre universitaire en 2018 ? Quelles ont été les réactions autour de vous au sujet de votre thèse ?

 

Étant étudiante au Baccalauréat en Histoire à l’Université du Québec à Trois-Rivières en plus d’être native de Trois-Rivières, j’ai eu l’occasion de voir et d’apprendre sur l’histoire culturelle de ma région et de mon Québec. J’ai « rencontré » des artistes de tout genre, dont un qui me parlait beaucoup, Gérald Godin. Après quelques recherches, j’ai réalisé que nous parlions relativement beaucoup de Godin tant dans la région qu’au Québec, mais qu’on ne parlait pas de Pauline Julien. Lorsqu’on parle d’elle, c’est souvent par l’entremise de Gérald. La jeune féministe en moi a trouvé cela déplorable qu’on ait mis de côté cette femme non seulement de grand talent, mais de cœur et de convictions. Qu’on parle de son conjoint, qui a certes fait de bien belles choses, mais rarement d’elle, en tant qu’artiste et femme accomplie.À l’époque dans laquelle nous nous trouvons, je crois qu’il est primordial de faire une plus grande place aux artistes féminines du Québec (et de partout dans le monde) qui ont souvent été oubliées par l’Histoire. On ne parle presque pas d’elles et ça, c’est malheureux. C’est pourquoi je veux remettre en lumière Pauline Julien. Tant son art, que son engagement politique à une époque où la nation québécoise était en pleine effervescence.D’ailleurs, lorsque j’ai présenté mon projet à quelques professeurs et collègues de mon université, les réactions ont été unanimement positives. Comme je cherche à comprendre et à démontrer l’implication politique et culturelle de Pauline Julien tant dans ses prises de position que dans son art, cela a intéressé non seulement des spécialistes de l’histoire politique que de l’histoire culturelle et sociale.

Cette thèse fera t-elle l'objet d'une publication ?

Il est malheureusement encore trop tôt pour le dire.. je ne suis encore qu’en préparation pour débuter officiellement la maîtrise. Cela dit, évidemment que j’aimerais en faire une publication future dans l’objectif de redonner à Pauline Julien, la place qui lui revient.

On dit souvent que Pauline Julien est oubliée, comment le percevez-vous au Québec, voire de façon plus large (au-delà du Québec).

Je vous dirais que même ici, en ces terres natales, elle est quelque peu oubliée. Cette année par contre, comme nous soulignons tant son 90e anniversaire de naissance que les 20 ans de sa disparition, il y a comme un retour du balancier. D’ailleurs, il y a un spectacle hommage qui a été mis sur pied et qui sera présenté un peu partout au Québec. Pourquoi n’en parlons-nous pas vraiment avant 2018? J’ai quelques hypothèses. Serait-ce à cause de sa position de conjointe d’un ministre et d’un poète bien connu soit Gérald Godin? Était-ce à cause de notre difficulté à reconnaître l’apport des femmes à la société québécoise? Par exemple au Québec, une seule femme a eu droit à des funérailles nationales et c’est Claire Kirkland Casgrain.. en 2016!) Sinon, nous sommes également en droit de nous questionner sur son œuvre. Est-ce parce que son art a un peu mal vieilli ? Tant de questions, mais nous ne pouvons avoir de réponse claire et certaine. Mais il serait intéressant de s’y pencher davantage.



Comment avez-vous découvert Pauline Julien ?

Œuvrant dans le milieu de l’Histoire ainsi que dans des réseaux indépendantistes, j’ai tout d’abord fait la connaissance de Gérald Godin. À la Société Saint-Jean-Baptiste de la Mauricie, la cellule des jeunes avait fait imprimer des chandails à son effigie. Après avoir lu quelque peu sur l’homme politique et culturel, j’ai fait la découverte de Pauline Julien. Je connaissais déjà la chanson « Mommy » qui est encore bien ancrée dans les mémoires des Québécois et Québécoise, et j’ai eu envie d’y aller en profondeur. J’ai alors commencé à lire sur elle, à parcourir sa musique, ses textes tout en me questionnant sur l’époque dans laquelle elle a évolué. Va s’en dire que cette période, soit la fin des années 1950 allant jusqu’à la décennie 1990 est une de mes périodes de prédilection. Il est donc tout naturel pour moi de réfléchir sur les acteurs et actrices ayant façonné le Québec de cette époque.


Quel regard portez-vous sur ceux et celles qui interprètent la chanteuse au Canada, en France, ailleurs ?

Malheureusement, je connais peu d’artiste qui a décidé d’interpréter les œuvres de Pauline Julien. Cela dit, comme elle a davantage interprété qu’écrit et composé la grande majorité de son répertoire, il serait difficile pour des artistes d’aujourd’hui de dire que la réinterprétation qu’ils en feraient viendrait de Pauline Julien. Par contre, quelques artistes l’ont fait notamment Émile Proulx-Cloutier qui lui, a plutôt pris l’essence même de la chanson « Mommy » pour lui donner une tout autre connotation. Il transforme cette chanson pour mettre en lumière la malheureusement disparition des langues des Premières nations qui s’effectue jour après jour. Un peu dans la même veine qu’à l’époque où Pauline a interprété cette chanson, mais avec des acteurs et un contexte différent.

EMILE PROULX-CLOUTIER - Maman (adaptée de -Mommy, Daddy- de Marc Gélinas et Gilles Richer)

Ariane Moffatt, Isabelle Boulay, L'Âme à la tendresse,  Montréal, 24 juin 2012

 "Mommy" (Pauline Julien) - Marie-Jo Therio

 

 Quelles chansons de PJ vous ont particulièrement marqué ?

Oh il y en a tellement!!! Tant la féministe que l’indépendantiste en moi sont comblées et sont marquées par les chansons de Pauline Julien. Parmi celles-ci, je peux très certainement mentionner « Le Temps des vivants » ainsi que la reprise d’Anne Sylvestre « Une sorcière comme les autres ». Il y a également « L’étranger », « Je vous aime » et « Mommy ». Mais je ne pourrais passer sous silence sa chanson « L’âme à la tendresse » qu’elle a elle-même écrite.

Pauline Julien - L'âme à la tendresse

 

***

Pauline Julien mit fin à ses jours le 1er octobre 1998 à Montréal. Jusqu'au bout, elle voulut rester maîtresse de sa vie. Naturellement, ce 1er octobre, certains médias s'en souviendront, et tant mieux. Mais ce n'est peut-être cela qui compte le plus. Une fois que les médias auront fait leur bonne action, de nombreux artistes, telles Céline Faucher, continueront de la célébrer, tout ou partie pendant encore de longues années. L'ombre de la Julien demeure, il faudra faire avec : n'est-ce pas plus mal ?

 

SUHUBIETTE

 

Hervé Suhubiette écrivit en la mémoire de PJ ctte très belle chanson : 'La bicyclette'. Une chanson, lente, lancinante, belle et douloureuse à la fois. Le chanteur toulousain au répertoire original qui s'adresse aussi bien au public adulte qu'au public jeune (à travers notamment des contes musicaux) nous a livré quelques mots sur la chanteuse.

La bicyclette

 « Ramenons pas nos fraises pour la chanson française / il n’est bon bec que de Québec » chantait Anne Sylvestre dans une chanson intitulée « Dis-moi Pauline ». J’avais une quinzaine d’année et un flot d’artistes québécois faisait en effet irruption dans ma chambre d’adolescent. Au milieu des 33 tours des Vigneault, Charlebois, Louise Forestier, Diane Dufresne, Beau Dommage et bien d’autres, un album de la dite Pauline.  « Pauline Julien en scène », un récital de 1975. Une tornade ! Un choc ! J’y retrouve immédiatement un je ne sais quoi de fougue, de présence scénique, d’engagement des Catherine Sauvage, Pia Colombo et autres chanteuses de cette rive gauche parisienne que Pauline Julien a aussi fréquentée. Mais ce que j’apprécie avant tout, c’est de découvrir une chanteuse ancrée dans son époque, attachée à son pays et à ses droits.  'L’ étranger', 'C’est marqué sur le journal', 'Litanies des gens gentils', 'Poulapaix',' Mommy', 'L'âme à la tendresse', 'Le plus beau voyage',  autant de chansons fortes qui traversent cet album que je connais aujourd’hui toujours par cœur. Pauline Julien n’a pas non plus oublié la modernité dans la couleur musicale qui habillent les chansons de ce récital : batterie, guitare basse, guitare électrique participent à la force, à l’engagement, à la flamboyance. Et puis, il y a surtout la découverte d’une voix au timbre si particulier. Une voix de diseuse, de théâtreuse, on sent bien dans sa manière de porter et dire-chanter un texte le passage du côté de chez Brecht. Chaleur, sensualité, tendresse, rire, humour, ironie, mordant, incisif, colère, il y a tout ça et bien plus dans ce grain de voix unique.

Et puis comme pas mal de ses collègues, elle aura aussi contribué à me faire découvrir, rêver, fantasmer un pays que je ne visiterai que bien plus tard.

 

Je n’ai par la suite raté aucun des albums qui ont suivi. J’ai été aussi remonter le temps pour à coup de vinyls d’occasions, CD, compilations me forger une intégrale de la belle Pauline. Une tendresse particulière pour ses quatre derniers opus et comme beaucoup, j’ai été bouleversé par ses recréations des chansons d’Anne Sylvestre. Je peux rajouter à la liste, un train pris pour aller l’entendre chanter sur scène à Pau quand j’étais étudiant, la déception de ne pas avoir vu « gémeaux croisés », une guitare sur laquelle j’ai chanté ses chansons. Et puis, ce petit article lu sur Télérama annonçant sa disparition suite à une maladie dégénérative. Immense tristesse mais je sais que sa voix et ses chansons feront toujours partie de mon univers.

 

D’ailleurs, elle ne tarde pas à venir se glisser dans une chanson, « La bicyclette », que j’écris en 2000, pour un spectacle constitué de portraits. J’ai pensé à la dernière chanson de son dernier album studio : « moi j’ai choisi la vie oui ! ». Et ça me renvoyait à cette injustice folle d’être privée de parole quand on a été animé d’une telle fougue.

 

Difficile entreprise d’écrire sur une personne disparue et sur le thème de la maladie. Je décide d’esquisser un portrait où je ne la nommerai pas, où j’essaierai d’éviter le pathos. Un portrait tendre avant tout. Une photo de Pauline Julien à bicyclette avec Julos Beaucarne donne le point de départ, de fil conducteur. Je glisse discrètement au gré des couplets et refrains un titre de chanson, d’album et même quelques mots empruntés à des « entrevues ». Il m’arrivera de chanter cette chanson sans parler de Pauline Julien, parce que le portrait et le thème sont assez ouverts pour que chacun y retrouve une personne mais c’est une belle récompense et une belle émotion quand des personnes en fin de concerts viennent me confier y avoir reconnu Pauline. Autre belle récompense que de voir la chanson traverser l’océan grâce à Anne Sylvestre pour être diffusée sur Radio Canada et d’être contacté par des québécois qui souhaitent la retrouver.

 

Avec le recul, je me dis aujourd’hui que j’ai sûrement eu envie de cette chanson comme une sorte d’hommage discret. Envie d’écrire sur elle parce que comme bon nombre d’artistes, elle a contribué à me nourrir, à motiver mon envie d’être chanteur. Je suis bien incapable de mettre des mots exacts sur ce qu’elle m’a transmis et légué, mais je sais que c’est quelque chose qui relèverait du rapport passionnel au métier, à la scène, d’une énergie, d’un courant impalpable, quelque chose de mystérieux et indescriptible.''

 

***

 

Pauline Julien - L'Âme à la tendresse.flv 

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Cette conclusion nous donne l'occasion aussi de préciser, que pour les dix ans de ce modeste blog, le dossier autour de Pauline Julien est le dernier de l'année. Il n'y aura donc pas d'articles après, jusqu'en décembre 2018. Pourquoi cette décision. Plusieurs éléments nous y ont conduit. La première raison, évidente : notre refus d'évacuer l'importance de Pauline Julien dans le patrimoine chanson. Faire un dossier dessus qui nous a pris cinq mois et mettre un article ensuite sur autre chose dans les deux semaines qui suivent n'a aucun sens. Ce blog s'adresse à des gens curieux et incite les gens qui tournent en rond dans leurs goûts à découvrir. Nous n'avons pas de beaux souvenirs avec des articles consacrés à Leny Escudero, Brel, avec la désagréable surprise de voir que soit tout un public d'internautes considère qu'au delà de leurs propres goûts et parfois de leur propre génération, il n' y a rien d'intéressant, soit que tout un public d'internautes refuse de découvrir ce qu'il connaît peu, par facilité intellectuelle. Nous nous positionnons sur le temps long, et insistons haut et fort sur les vertus de l'éclectisme. Lisez, relisez, partagez cet article. Les querelles de clans n'apportent rien à la culture, qui vaut bien plus que ça. Ensuite, si vous avez suivi un minimum les informations, vous savez que le droit d'auteur et le droit d'interprète sont en danger. Dans le cadre français, la Sacem, le Spedidam, l'Adami font leur boulot du mieux possible. En paraphrasant un internaute avec qui nous discutions sur facebook, il est déplorable que bien des gens, y compris des artistes, préfèrent casser du sucre sur la sacem que sur les GAFA (dont nous ne dépendons que trop, hélas). A partir du moment où les gens ont le droit d'écouter un artiste, celui-ci a le droit d'être rémunéré et largement plus que des miettes. Pauline Julien était une chanteuse interprète qui a servi les auteurs. Elle écrivit elle-même nombre de ses textes. Et en cette période de soubresauts pour les droits basiques des artistes, sa figure est un symbole, ce symbole est un phare.

La rédaction

Pauline Julien en spectacle à l'émission Vedettes en Direct

 

Le site Encyclopédisque propose une discographie assez fournie : www.encyclopedisque.fr/artiste/6428.html

 

Faucher

Concerts

Céline Faucher chante Pauline Julien : Qui a peur de Pauline Julien 29 et 30 sptembre au Théâtre Rural de la Closerie, Etais la Sauvin. 11 novembre à l'Arthe Café, Sauterre-Manzat. 

Jann Halexander chante Pauline Julien : 'A nos tendresses' 30 novembre, l'Atelier du Verbe, Paris

L'actualité d'Hervé Suhubiette : http://www.hervesuhubiette.com

Enfin, et c'est un événement, parution le 19 octobre chez EPM MUSIQUE de 'Gémeaux Croisées', édité pour la première fois en double cd.

 

GEMEAUX

 

 

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Commentaires
L
Bonjour, Je recherche désespérément le titre d'une chanson de Pauline Julien que j'adorais...Cela commençait par "Souvenez vous ami de nos soirées vibrantes" (je crois) et se terminait par "Québec, vendredi soir, 6 mars 1910"...J'aimerais beaucoup pouvoir réécouter cette chanson...Merci pour votre aide! Laurence
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H
Il n'est pas pire de mort que celle de la curiosité disait Pierre Barouth<br /> <br /> au cour d'une interview....alors que dire ou que penser de cette société qui n'a autre(s) recours que d'écouter ou voir des artistes qu'ils connaissent déjà et tant pis pour les autres artistes tous domaine confondus victimes de l'ostracisme médiatique (pour parler plus globalement ) puisque dans les deux cas l'un nourrit l'autre et réciproquement c'est à dire que l'absence de curiosité d'un public qui hélas a plutôt tendance à s'élargir au fil du temps cautionne<br /> <br /> inévitablement le(s) choix des programmateurs radio(s) /télé quand aux artistes que l'on décide ou non de diffuser selon des critères qui sont les leurs ....ce qui par conséquent ne fait hélas là aussi dans ce triste constat que je fais depuis plus de vingt ans en matière de chanson(s) tant côté radio que celui télé (encore pire)<br /> <br /> Disparition de Pollen (Fr.Inter ) chanson boum par Hélène Azéra Fr. Culture ) etcétéra sans parler de la disparition des cabarets parisiens intra-muros tels que le Loup du Faubourg, (rue de la Roquette dans le11ième )les Uns et les autres (rue Chevreuil 12ième )puis le dernier (à ma connaissance)le Limonaire (cité Bergère 9ième )<br /> <br /> ....la liste doit hélas être plus grande encore...bref tout ça pour vous dire<br /> <br /> que que c'est toujours et encore la Chanson qui doit payer au détriment <br /> <br /> de quelques résistant(e)s ici ou là qui par leur(s) talent(s) tentent de sauvegarder la richesse de ce patrimoine immatériel que peut être<br /> <br /> et devrait toujours rester celui de la Chanson (1)<br /> <br /> Merci par avance de l'attention que vous porterez à mon commentaire<br /> <br /> auquel je l'espère une ou plusieurs personne papoteront une pierre à cet édifice immatériel en le complémentant du (des) vôtre(s)<br /> <br /> Passez de joyeuses fêtes de fin d'année tous mes vœux pour ce à venir<br /> <br /> Cordialement à vous tous et toutes et à très bientôt Hubert<br /> <br /> P.s la lettre majuscule au mot Chanson est plus que méritée au même titre que celui du mot Amour....autrement dit Amour pour la Chanson<br /> <br /> A Bientôt Hubert
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H
Bonjour à vous tous et toutes<br /> <br /> Voilà déjà plus de 42 ans que j'ai découvert cette icône de la chanson québecoise ce fut à l'occasion d'un spectacle rendu à une autre icône <br /> <br /> du Québec de son vivant il s'agissait de Gilles vigneault,entouré d'autres artistes tels Michel Rivard,Claude Léveillée,Monique Leyrac,Fabienne Thibeaut ,Nicole Croisille (seule française a avoir traversé l'atlantique pour partager avec le public ainsi que ses amis artistes francophone ces délicieux moments du spectacle...et l'interprétation de Pauline "dans" la corriveau aller sceller pour longtemps après mon attachement à la fois pour Pauline que pour d'autres artistes francophones et en particulier pour le Québec...ils y aura les disques vinyles et K7 que je me fournirait par la suite puis les concerts (d'abord en solo à Paris)puis les deux derniers en compagnie d'Anne Sylvestre pour "Gemmaux croisés " au Théâtre Maxime Gorki près de Rouen en 1988 puis à Cjherbourg en Février 1989 pour le dernier et aussi (et malheureusement ) la dernière fois que je verrait Pauline de son vivant .....C'est pourquoi je for touché lorsque le seul homme à s'être "approprié le répertoire de notre héroïne à propos de ce qu'il ressent (20 après sa disparition ) le vide mémoriel parmi une catégorie de personnes contemporaines de l'époque où Pauline encore<br /> <br /> Bref....enfin voilà ce que j'avais à dire ....pour le moment <br /> <br /> Passez tous et toutes de joyeuses fêtes de fin d'année ,tous mes voeux pour celle à venir merci encore pour le lien artistiquement vôtre<br /> <br /> Amitiés Hubert
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P
Fantastique chanteuse et aussi diseuse, je me souviendrai toute ma vie de ce "Maria Chapdelaine" passé en épisodes radiophoniques sur la RTBF (Radio Télévision Belge Francophone) dans les années 70. Inoubliable, et d'ailleurs 50 ans plus tard, j'y repense toujours régulièrement... Amitiés de Belgique
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C
Chouette commentaire. Céline Faucher est la seule chanteuse qui reprend de façon régulière et avec talent Pauline Julien. Côté homme depuis janvier dernier, Jann Halexander (qui a vécu sa petite enfance au Canada) propose aussi un spectacle autour de la chanteuse , qui fait le plein à chaque fois aussi.
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